[Event] Chasse des Chasseurs de biche

A peine le groupe de la Bibiche Team eut-il disparu dans les ténèbres des sous-bois que je m'élançai sur leurs traces, entraînant mes deux coéquipiers par le bras. J'entendais derrière moi les protestations outrées de Crehel, qui ne cessait de trébucher à cause de l'allure saccadée et de la position inconfortable que je lui imposais tout en le tirant vers l'avant, tandis que Crelet nous suivait d'un pas silencieux. La végétation était dense et notre progression fastidieuse. Nous manquâmes à plusieurs reprises de tomber les uns sur les autres, surpris par de brusques dépressions de terrain ou l'apparition soudaine d'un obstacle au détour d'un buisson. Après avoir ainsi parcouru plusieurs centaines de mètres, je m'arrêtai brusquement, provoquant une énième collision avec les deux garçons qui me suivaient.

« - Quoi encore ? demanda Crehel avec humeur tout en se frottant le nez. »

L'elfe blond avait renoncé à ses airs princiers après sa troisième branche en pleine figure. Je le regardai, perplexe. Avec ses vêtements crottés et des brindilles emmêlées dans les cheveux, il ne ressemblait pas exactement à l'image que l'on se faisait d'un prince elfique, contrairement au statut qu'il n'avait eu de cesse de revendiquer durant notre course.

« - Y aurait-il un problème, Dame Page ? me demanda Crelet. »

J’avais fini par renoncer à ce que Crelet m’appelle par mon prénom. Je soupirai.

« - On les a perdus.
- Qui donc ?
- Le professeur Hopkins et son équipe, répondis-je.
- Mais pourquoi voulais-tu les suivre ? Avais-tu l'intention de tricher ? demanda Crehel d'un ton accusateur.
- Non ! Pas du tout ! Ce n'est pas... »

Ce n'est pas quoi ? pensai-je. Qu'avais-tu l'intention de faire, idiote ? Je n'avais absolument aucune idée de ce à quoi je m'attendais en suivant mon professeur. Une vengeance quelconque, peut-être ? Rien de bien méchant, évidemment. Mais je devais admettre qu'à cause de moi, c'était nous qui étions perdus.

« - Je suis navrée, déclarai-je au deux cousins avec toute la sincérité dont je pouvais faire preuve. J'étais encore en colère après Mr Hopkins à cause de ce qui s'est passé le jour de mon arrivée. J'imagine que j’espérais trouver l'occasion de me jouer de lui à mon tour. C'était puéril. Je regrette de vous avoir traînés de force jusqu'ici.
- Mr Hopkins a-t-il mal agi envers vous ? me demanda Cretel d'un ton mi-étonné, mi-inquiet, qui acheva de me faire culpabiliser.
- Oui et non, bredouillai-je. Pour faire court, il m'a entraînée dans cette forêt et il a fait mine de vouloir me séduire. J'ai fait semblant de marcher en pensant le prendre à son propre jeu, mais je me suis retrouvée étalée par terre. »

Un ange passa.

« - ... Mon Dieu. Je ne pensais pas... Venant d'un professeur de cette école... bafouilla Cretel d'un air médusé, la tête entre les mains.
- Une école si prestigieuse... Un tel déshonneur... reprit son cousin en se détournant, visiblement tout aussi effaré.
- Non ! Non ! Vous n'y êtes pas du tout ! m'exclamai-je. J'ai littéralement fini au sol. La tête la première ! Vous voyez ? Mr Hopkins m'a laissée tomber et je suis passée pour une idiote. Rien d'autre ! »

Après maintes explications, je parvins à convaincre les deux elfes que ma pureté avait été préservée. Pendant que nous discutions, l'obscurité s'était imperceptiblement accentuée autour de nous. Il n'était plus possible de voir plus loin qu'un bras tendu et je m'aperçus que j'avais peine à discerner les traits de mes deux camarades. Nous étions cernés par une ombre à couper au couteau.

« - Rebroussons chemin, ordonna Crehel. »

Nous nous exécutâmes sans ajouter un mot. Je marchais entre les deux cousins en leur tenant la main, afin de ne rester unis. Personne ne parlait. C'était comme si j'avais peur d'éveiller quelque chose tapie dans l'obscurité. Celle-ci était presque palpable. Je m'efforçais d'avancer en fixant la silhouette indistincte de Crehel devant moi, incapable de voir où je m'étais les pieds. Tout à coup, celui-ci s’arrêta et nous intima le silence. Nous nous tapîmes derrière un buisson. Devant nous, silencieusement, une masse énorme se mouvait entre les arbres. Je discernais à peine sa silhouette massive. Comment une créature de la taille d’un cachalot pouvait-elle avancer en pleine forêt sans faire de bruit ? La réponse m’apparut aussitôt. C’était un esprit. J’en avais la certitude. Je le sentais.

« - C’est un dragon, souffla Crehel, dont la vue était plus perçante que la mienne.
- Non, mais ça y ressemble. Il s’agit d’un spectre, affirmai-je avec certitude.
- Une proie digne d’un prince, se réjouit-il.
- Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… fit son cousin, visiblement nerveux.
- C’est l’occasion de prouver notre valeur, cousin ! »

Avant que Crelet n’ait pu répondre, Crehel s’esquiva furtivement. Je compris qu’il comptait contourner le monstre.

« - Il est fou… remarquai-je posément.
- Non, soupira l’elfe resté à mes côtés. Il est encore bien plus atteint que ça. »

Je fis glisser de la jambe de ma botte une sorte d’objet cylindrique en métal noir et commençai à tracer des runes sur le sol quand soudain, je vis Crehel sortir des fourrés et s’élancer sur le spectre.

« - Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? m’écriai-je. Il croit qu’il chasse le gibier ?! C’est n’est pas comme ça qu’on chasse un esprit ! »

Crelet n’avait pas écouté la fin de ma phrase. Il avait déjà bondi hors de notre cachette pour aller sauver son inconscient de cousin princier. Sans réfléchir, je me précipitai à sa suite, tous les sens en alerte, prête à me battre.